Extrait “L’Affaire du Lux Bar”

Extrait 1er chapitre

Longtemps, je me suis couché à pas d’heure.

J’étais un peu fêtard, voyez-vous. Enfin, c’est ce que me disait Tonton, le patron de l’usine de parapluies qu’il avait fait pousser là-haut, près de Lens, et dont il avait l’intention de me laisser les clefs quand il aurait pris sa retraite et se serait mis en roue libre. Dans le coin, il pleut non-stop à longueur de temps et le marché n’est pas près de disparaître, m’avait assuré l’oncle qui n’avait pas entendu les Chinois – sournois, comme chacun sait – arriver derrière lui à pas de loup pour lui piquer sa place.

Mais, moi, le Nord, rien à faire, j’aimais pas. Porter sur la tête un casque avec une lampe collée dessus parce que, avec le brouillard qui plombe habituellement la région, on navigue au radar du soir au matin huit mois par an, pas question.

Ce que voyant, Papa me proposa de venir le rejoindre dans le Sud. Cette fois, il y avait le soleil et la mer avec, en toile de fond, de vraies montagnes. Rien à voir avec le plat pays qui offrait, comme seul relief, des terrils encore chauds vingt ans après l’arrêt de l’exploitation des mines.

Il voulait que je m’occupe de chevaux de course. En plus, là-bas, d’autres tontons se succédaient de père en fils comme maires de Nice, depuis 1928. Des relations comme ça, fallait pas les laisser passer, c’est sûr. Mais, les pur-sangs, je me méfiais : c’est caractériel, ces bêtes-là. Ça mord et ça essaye de vous coincer contre le mur du box ou de vous filer des coups de sabots en douce, quand vous avez le dos tourné.

De toute façon, le Sud, j’aimais pas non plus.

Pourtant, je n’avais rien d’un type impossible. D’ailleurs, à cette époque, je ne me plaignais jamais. Faut dire que je pétais la forme. Pas comme maintenant.

En fait, depuis tout petit, j’avais décidé que j’irai à Paris.  

Je m’étais mis dans la tête que c’était là que battait le cœur de ce foutu pays. Balzac, Proust, Hemingway, Blondin et les autres, tous me l’avaient seriné à longueur de bouquins : en France, pas possible de vivre ailleurs.

C’est comme ça que j’ai débarqué sur la Butte, et que vous me voyez, aujourd’hui, échoué au Lux bar, comme ces carcasses rouillées de cargos plantées les unes à côté des autres sur la barrière de corail, pour toucher l’assurance, que j’avais filmées en Nouvelle-Calédonie

Le Lux, c’est tout en bas de la rue Lepic, « le fleuve de Montmartre », comme le disait Léon-Paul Fargue. À trois pas de la place Blanche. Enfin, à trois pas, pour moi, c’est une façon de parler : disons qu’il suffit que je mette mon fauteuil en roue libre et que je me laisse glisser, le pied sur le frein et le cul bien au chaud dans mes couches-culottes, pour descendre jusque là-bas.