Extrait “Munduruku”

Extrait du 1er chapitre

C’est vers six heures du soir que l’on entendit les premiers tirs à l’arme automatique dans le Complexe de la Marée, un gigantesque ensemble de dix-sept favelas coincées entre l’avenue Brasil, la plus grande artère de la ville, et l’autoroute aérienne qui conduit à l’aéroport international du Galeão.

Touché par une balle perdue, un camion-citerne de la Petrobras bourré d’essence jusqu’à la gueule – camion qui n’aurait jamais dû emprunter la voie rapide interdite aux poids lourds qualifiés de potentiellement dangereux en raison de l’impossibilité de les évacuer en cas de problème – prit feu avant d’exploser, projetant par-dessus les barrières de protection du viaduc un bus, totalement bondé à cette heure de la journée, qui tomba vingt mètres plus bas, sur le toit. Une fois les blessés extraits de la carcasse, on dénombra sept cadavres horriblement broyés qu’il fut impossible d’identifier.

On entendit la déflagration jusqu’au chantier de la Cité Olympique, à Barra da Tijúca, de l’autre côté de la montagne, à vingt kilomètres de là. L’incendie se propagea rapidement aux premiers baraquements de la favela situés à proximité.

Les flammes atteignaient près de dix mètres de haut. Dans une chaleur infernale, les pompiers essayaient de maîtriser le sinistre et l’accès à l’aéroport fut aussitôt interdit.

Depuis la période des chercheurs de diamants, ces garimpeiros qui occupaient le village bien avant qu’il ne s’appelle Neuland, le Nouveau Territoire, l’once tachetée a appris à se méfier des hommes ; aussi, elle s’approche rarement des maisons habitées. Surtout les nuits de pleine lune, comme cette nuit-là, justement. Bien sûr, quand elle ne trouve même pas un petit moço – une sorte de cochon d’Inde –, à se mettre sous la dent, il arrive qu’elle quitte la caatinga, cette végétation typique du Nordeste du Brésil formée d’arbrisseaux épineux. Elle se glisse alors dans la cour d’une ferme et s’attaque à un veau. Elle le déchire sur place pendant qu’il est encore vivant et se débat en meuglant. Elle emporte un jarret ou un morceau d’épaule pour nourrir ses petits et abandonne le reste sur place, car elle sait que les mugissements désespérés de l’animal ont alerté les paysans.

Aussitôt qu’ils ont compris ce qui se passait, ceux-ci décident d’aller chercher le chasseur d’onces – un type que tout le monde respecte et qui vit avec femme et enfants à l’entrée du village – car ils savent que le fauve, tôt ou tard, reviendra.

Le lendemain, à l’aube, muni d’un fusil et d’une corne qui imite le feulement du jaguar, la chama onça, le chasseur part de la rive du fleuve et s’enfonce tout droit dans la forêt. Tous les cent mètres environ, il tue deux ou trois singes avec son fusil et il en fait un charnier. Il espère que l’odeur des cadavres encore chauds va attirer le félin. Il avance comme ça, sur un kilomètre ou deux, puis il revient sur ses pas. Calmement, il se prépare au face à face avec la bête. Ce sera elle ou lui. Souvent, le jaguar, affamé, se fait prendre. Mais il arrive aussi que l’animal, couché sur une branche, immobile et parfaitement silencieux, attende le chasseur. Le jaguar se laisse alors tomber sur sa nuque quand il passe sous l’arbre et enfonce ses crocs dans le crâne de l’homme.

Au village, tout le monde sait que chasser l’once est un métier dangereux dont le savoir-faire se transmet de père en fils. Mais le jeu en vaut la chandelle : avec la vente d’une peau de jaguar, on peut faire vivre toute sa famille pendant un mois, car dans cette région du Brésil, on naît pauvre et on meurt souvent encore plus pauvre que l’on est né.